Cet article a été publié sur Les Marchés, le Média de l’alimentaire.

 

Saisi d’une demande d’annulation du décret français rendant obligatoire l’étiquetage de l’origine de la viande et du lait dans les produits transformés, le Conseil d’État a interrogé la CJUE, le 27 juin dernier, sur la possibilité pour les États membres de réglementer cette question à l’échelle nationale.

En Europe, le règlement 1169/2011, dit Inco, harmonise les règles applicables à l’étiquetage des denrées alimentaires et établit un principe de loyauté des informations transmises au consommateur final. À ce titre, l’indication de l’origine n’est obligatoire que lorsque son omission serait susceptible d’induire en erreur les consommateurs. C’est le cas, en particulier, si les informations jointes à la denrée, ou l’étiquette dans son ensemble, peuvent laisser penser que la denrée a un pays d’origine ou un lieu de provenance différent, ou si l’origine indiquée n’est pas celle de son ingrédient primaire.

La Commission européenne devait, au plus tard le 13 décembre 2014, présenter un rapport sur l’étiquetage de l’origine de certaines denrées, telles que la viande, le lait et les produits laitiers. Or, dans l’attente de telles précisions, les hypothèses où cette mention devient obligatoire se sont largement multipliées à l’échelle nationale.

Marge de manœuvre faible des États membres

Entre harmonisation et justification, la marge de manœuvre des États membres est faible. En principe, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver de mesures nationales, sur des questions harmonisées par le règlement Inco. Ils peuvent toutefois introduire des mesures sur l’indication obligatoire de l’origine de certaines denrées pour assurer la protection du consommateur, sous réserve de respecter deux conditions : un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine, ou sa provenance, et le fait que la majorité des consommateurs attache une importance significative à cette information.

En France, le décret no 2016/1137 du 19 août 2016 impose ainsi l’indication de l’origine du lait et des viandes utilisés en tant qu’ingrédient dans les denrées préemballées. Les opérateurs français sont, en principe, tenus d’indiquer le pays de collecte, de conditionnement et de transformation du lait. Notifié à la Commission, ce décret est applicable depuis le 1er janvier 2017… jusqu’au 31 décembre 2018, date à laquelle la Commission devrait analyser son impact sur le consommateur.

Demande d’annulation par Lactalis

Le Conseil d’État français a cependant été saisi, par la société Lactalis, d’une demande d’annulation de ce texte. Selon elle, la mention de l’origine est harmonisée par le règlement Inco, ce qui exclut la possibilité pour la France de réglementer la question. Elle soutient aussi que – quand bien même le règlement Inco laisserait la possibilité à un État de réglementer cette question – l’existence d’un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance n’est pas démontrée. Mais le Conseil d’État ne pouvant pas interpréter les dispositions européennes, il s’est tourné vers la CJUE, pour l’interroger sur la portée des deux critères prévus par le règlement Inco pour l’adoption d’une mesure nationale visant à protéger le consommateur.

Bien que la CJUE ne soit pas en mesure de répondre à cette question préjudicielle avant la fin de l’expérimentation française (fin 2018) compte tenu des délais de procédure, sa saisine reste très pertinente au regard de la légalité de plusieurs autres mesures nationales en matière d’étiquetage de l’origine des denrées en Europe.Cette question est d’autant plus délicate, qu’au-delà de la stricte interprétation des dispositions du règlement Inco, elle met surtout en balance la protection de l’agriculture nationale et la libre circulation des denrées.