Cet article a été publié sur Agra Alimentation, le média des enjeux de stratégiques et financiers de l’agroalimentaire.

 

Le 27 mai 2018, les députés de l’Assemblée nationale ont voté l’interdiction – temporaire – de toute importation et toute vente de denrées alimentaires contenant du dioxyde de titane, au motif que ses effets négatifs sur la santé humaine justifieraient le recours au principe de précaution. Le dioxyde de titane (E 171) est un additif utilisé dans l’industrie agroalimentaire et cosmétique pour blanchir et intensifier la brillance des confiseries, des plats préparés ou encore des dentifrices. Il s’agit d’une substance « partiellement nanométrique », c’est à dire constituée de particules de dioxyde de titane à l’état dispersé, agrégé ou aggloméré dont la taille varie de quelques dizaines à plusieurs centaines de nanomètres.

Il convient de rappeler qu’en application du règlement (CE) n°1333/2008, les additifs sont des substances qui sont ajoutées aux aliments dans un but technologique.Leur emploi est réglementé et leur présence doit obligatoirement être mentionnée sur les étiquettes des produits concernés. L’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) surveille et réévalue régulièrement ces substances.

Néanmoins, dans l’hypothèse où une évaluation des informations disponibles révélerait de possibles effets nocifs sur la santé, mais sans certitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète. Il s’agit là du principe de précaution.

 

L’évaluation des risques du TiO2 et les données disponibles

L’autorisation du E 171 sur le territoire européen, depuis 1969, a été confortée par un avis scientifique de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) du 28 juin 2016: les données disponibles ne mettaient pas en évidence de problèmes de santé pour les consommateurs. L’agence européenne a donc donné son feu vert à la poursuite de l’utilisation de l’additif, tout en recommandant de nouvelles études sur les effets de la substance sur le système reproducteur.

À ce titre, la Commission européenne a publié un appel à des données scientifiques et techniques sur le dioxyde de titane en tant qu’additif alimentaire en 2017. L’EFSA devrait décider, au cours de l’été 2018, si une nouvelle évaluation de l’additif est nécessaire à la lumière de ces nouvelles données, notamment de quatre études ayant été soumises par la France.

Parallèlement, une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), publiée le 20 janvier 2017, concluait que l’exposition chronique au E 171 favorisait la croissance de lésions précancéreuses chez le rat. L’Agence nationale française de santé (ANSES) a alors été saisie en janvier dernier par les ministères de l’économie, de la santé et de l’agriculture. Elle doit réaliser une étude critique de cette publication et déterminer si le produit « présente un éventuel danger pour les consommateurs ». Les conclusions de l’agence françaises sont attendues pour la fin de l’année.

 

Le principe de précaution et la gestion des risques à l’échelle nationale

Mais c’est au regard de ces seules études et en invoquant le principe de précaution, que les députés ont voté, le 27 mai 2018, la suspension de la mise sur le marché de l’additif E 171, ainsi que des denrées alimentaires en contenant.

En effet, depuis 2016, le Code français de la consommation prévoit qu’en cas de danger grave ou immédiat, le ministre chargé de la consommation et le, ou les, ministre(s) intéressé(s) peuvent suspendre la fabrication, l’importation, l’exportation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux d’un produit.

Néanmoins, cette suspension ne peut être ordonnée que pour une durée maximum d’un an et les produits peuvent être remis sur le marché s’ils sont reconnus conformes à la réglementation en vigueur. Le ministre chargé de la consommation doit également entendre sans délai les professionnels concernés et les associations nationales agréées de défense des consommateurs.

 

L’articulation des mesures françaises et européennes

Comme le mentionne l’amendement, ces mesures relèvent aussi des mesures conservatoires qui peuvent être adoptées au titre de la législation alimentaire européenne, en cas d’urgence. Dans ce cas, le risque doit être sérieux et évident, et la suspension doit être proportionnée à ce risque, au regard « des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question ». En effet, la mesure d’interdiction ne doit pas imposer plus de restriction au commerce qu’il n’est nécessaire.

De plus, avant d’adopter son arrêté, le gouvernement français devra informer la Commission européenne de la nécessité de prendre des mesures d’urgence à l’échelle européenne. Ce n’est que si la Commission n’agit pas que la France pourra suspendre l’utilisation de l’additif. Or, la Commission semble s’être déjà saisie de la question en chargeant l’EFSA d’évaluer la pertinence des nouvelles données disponibles.

Enfin, la décision de suspension française, qui sera définitivement discutée au Sénat à partir du 26 juin prochain, ne pourra être maintenue que jusqu’à l’adoption de mesures européennes. En pratique, cela signifie que toute décision de gestion des risques qui serait adoptée par la Commission européenne primera sur les mesures françaises, qu’elle décide, ou non, d’interdire l’utilisation du dioxyde de titane des denrées alimentaires.

On ne peut donc que s’étonner de cette initiative française quelque peu prématurée qui rappelle le précédent concernant le BPA…